WHAT'S WRONG WITH THE WORLD ?
Il n'a jamais trop compris cette sale histoire, et encore moins cette tragédie qui lui est subitement tombée sur la tête, à la manière d'un effondrement meurtrier, d'une dégénérescence personnifiée ─ la dégénérescence de ces soudains cadavres qui semblent reprendre vie, qui tendent irrémédiablement leurs bras décharnés vers vous pour vous attraper, pour faire de vous leur seul et unique met de morts crèves-la-faim. La terreur est telle que vous en restez paralysé, pétrifié dans l'entièreté de votre corps, inexplicablement figé sur place ; vous recherchez alors une diversion, vous vous persuadez inconsciemment que ce n'est qu'un rêve qui dérive en cauchemar, et c'est en s'enfermant dans la boîte noire de votre esprit que vous vous convainquez que tout ira bien, que ce n'est pas la réalité. Triste et dure réalité, parce qu'elle demeure ─ et les coups sur les murs vous le prouvent, vous rattachent immanquablement à cette évidence, cette tangibilité de devoir faire face à l'horreur : accrue et engendrée sur Terre, dorénavant dotée d'un visage lacéré et ensanglanté. Oui, c'est l'effroi qui toque à votre porte le jour-même, dans un concert funeste de voix sombres : l'apocalypse, quand il n'y a que vous et la mort, à seulement quelques mètres, inévitables mètres.
Et ça, il l'a vécu aussi, Chaelin. Il a vu la mort courir dans les rues, la terreur surfaite déformer les rides et les traits de son père ; son père, qui le réprimande très franchement et qui lui hurle de s'en aller, de cesser de jouer au plus malin, pour une seule et unique fois. Il a entendu les cris, les hurlements, les gémissements railleurs et pernicieux des cadavres à moitié décomposés qui rampent pitoyablement sur le sol : certains implorant un quelconque sauvetage, d'autres mendiant pour goûter à la chair de votre bras, à la moindre parcelle mortelle de votre peau. Tout n'est plus que chaos et confusion, tout dégringole sans que personne ne puisse bénéficier du temps qu'il faut pour le réaliser : le tocsin semble sonner dans les oreilles des plus vieux, le temps pourrait presque s'arrêter et le ciel se recouvre pour faire honneur à cette pandémie ravageuse et hasardeuse, d'une couverture céleste, noire d'encre, sinistre ─ annonciatrice du début de la fin. Quelques-uns ont le vain espoir de penser pouvoir fuir loin des villes, loin des nations et de la population, juste en s'exilant dans les campagnes et dans les endroits les plus reculés, là où personne ne pourrait les retrouver ─ mais faux ils ont, faux ils ont et c'est ce dont ils se rendent compte lorsqu'ils voient la mort les rattraper, anéantir leurs folles illusions et continuer de se répandre, de se propager jusqu'à la moindre petite cambrousse et ruelle. C'est l'irréaliste qui s'impose, c'est la malade qui effraie : c'est l'horrible réalité qui dépasse l'entendement.
WHAT'S WRONG WITH THIS BRAT ? Et pendant ce temps, Chaelin dit à ses camarades de classe de la fermer, d'arrêter de pleurnicher pour « si peu ». Sa soif de danger déborde, déborde insatiablement au bord de ses lèvres et brille sous ses paupières, gonflées par l'insolence bornée et stupide d'un gamin, d'un vulgaire petit con insouciant et envieux de changement. Même avant la tragédie qui s'est lentement manifestée pour ensuite toucher le monde, il était comme ça, Chaelin : habitué aux insultes, habitué à la colère et à l'agacement de ses semblables, aux rires des compagnons ─ parce qu'il fallait bien quelqu'un pour amuser la galerie ─ et, surtout, accoutumé aux sempiternelles réprimandes de ses professeurs, de ses aînés, de ses amis ─ et d'absolument tout le monde sauf ses parents, ses parents qui revendiquent leur fils comme un simple petit garçon innocent, inconscient de la gravité de ses actes. Ses parents qui ne sont pas nécessairement fiers de lui mais pas totalement honteux non plus, qui préservent une ligne correcte quand ça en vient à leur fils et qui, de toute manière, ne seront jamais prêts à faire passer leur infernal rejeton après une quelconque morale, bâtie sur les mœurs d'une société qu'eux-mêmes ont en horreur.
Chaelin crache sur les paradoxes, Chaelin n'aime pas se casser la tête dix ans : Chaelin déteste les histoires débiles d'apocalypses de zombie autant qu'il les adore, part au quart de tour comme un bouffon dans les situations les plus sérieuses, croit au Père Noël, n'a pas beaucoup de potes et est une fière tête-d'ange-diable-au-corps ─ mais surtout, surtout, Chaelin aime se foutre de ta gueule, t'inventer trente-cinq histoires insensées, te prouver par A+B que la chair ne fait pas le zombie et par dessus tout, fracasser des têtes et s'engager dans des bagarres qui ne le concernent même pas. La pandémie qui se propage lentement mais sûrement, trop peu pour encore atteindre sa famille, lui procure des envies d'attraper sa pelle dont il se servait pour enterrer ses collections de jouets préférés, tel un aventurier en quête de deux trois zombies à recadrer, et partir faire le guignol à la traque d'un substitut sur lequel passer ses nerfs puisqu'évidemment, il ne les trouvera pas par lui-même. Tout ça parce que Chaelin est naturellement excité, étrange, fou ─ complètement hystérique, absolument accro à la sensation du sang dans la bouche. Il aime l'adrénaline, le danger qui persiste à vouloir détruire ses frontières, le pessimisme de ses amis quand lui sait qu'il est prédestiné à aller se battre contre ces abominations efflanquées, s'il ne meurt pas avant comme un héro du cataclysme, dit-il.
Un vrai numéro, un phénomène. Un masochiste, un bourrin, un viking dans l'âme. Un gamin qui menace mais qui peut tout aussi bien consoler ses plus proches connaissances parce que voilà, on lui a aussi appris la solidarité entre potes. Un manant, un salaud, un Chaelin irrévérencieux qui n'a absolument rien d'un moine shaolin. Les valeurs transmises par ses parents font de lui ce qu'il est aujourd'hui, et celles-ci sont bien loin d'être retranscrites selon les codes de la société : depuis tout petit, c'est l'unique morale des Min qui lui a été inculquée, qui lui a appris « lamine lui sa gueule s'il te soûle, sois cool avec tes amis, embête pas les filles qui t'ont rien fait » et tant d'autres choses toutes plus parentales et influentes. C'est quelque chose qu'on ne lui enlèvera pas, jamais, et dont il est accessoirement très fier. Ses racines, son arbre généalogique, ses principes de Minus.
Néanmoins sa mère continue de dire qu'il n'est pas doué, mais qu'en contrepartie, il peut persévérer. Lui-même n'y croit pas, et n'a aucune envie de se forcer à persévérer quand il estime ne pas en avoir particulièrement besoin. Soûler son monde, c'est primordial ; brandir sa témérité et sa pelle à la place de sa manette WII U aussi, quoi qu'il en regrette encore son petit chez-lui. Il n'y a rien de mieux que de jouer à Resident Evil version IRL, manger des châtaignes et poutrer du zomb' en première ligne, de toute façon. Non ? Le circuit arc-en-ciel de Mario Kart c'est cool vite fait, mais voilà, la paix et les papillons, c'est vite monotone et fastidieux, comme ce soi-disant bouffon de rat de bibliothèque qui se croit toujours mieux que les autres, aka Soleil Hyun je-crache-sur-la-vie avec ma gueule tantôt de dépressif tantôt de tournesol binoclard. Oh, oh qu'il le déteste...
WHAT'S WRONG WITH THESE DAMN UNDEAD ? C'était la panique peinte en néons rouges et noirs sur les visages blafards, le hurlement retentissant et angoissant des sirènes, des alarmes ─ d'une horde de gens qui se bousculent, se piétinent sauvagement et négligemment et qui s'arrachent à fuir, à ne pas regarder en arrière une seule fois, de peur de voir la mort en personne les courser : dans la simple et unique optique de les dévorer, de se repaitre de leur chair. Chaelin ne sait pas ce qu'il se passe, il ignore pourquoi sa mère et son père le pressent ainsi pour qu'il se dépêche, pour qu'il court à s'en tenailler les muscles des jambes et à en perdre son souffle en volutes douloureuses, courageuses. Le simple fait de se presser témoigne de son envie de vivre, d'échapper à la faucheuse à la gueule béante qui le pourchasse, qui lui en veut d'exister. Pourtant, son envie la plus curieuse est de se retourner pour voir, pour regarder dans les yeux cette armée de masses sombres et émaciées : se rendre compte de la réalité, ouvrir les yeux et peut-être même se jeter dans le tas pour accomplir l'illusoire désir de les briser un à un, à la seule force de poings rageux, audacieux.
Mais il ne le fait pas. Il fuit comme un lâche, comme s'il avait peur, et ça le dégoûte. Sa mère le prend de force par la main, exerce sa pression moite sur son poignet meurtri ─ et ça brûle délicieusement, ça lui lèche le corps de flammes irritantes et lui fait sursauter le cœur d'un ressenti désagréable, saturé de petits picotements. Il en est tellement préoccupé, tellement épris, qu'il ne se rend pas compte que dans la mêlée décadente de ce bon nombre de personnes dans le même cas, tout aussi plongées dans la même angoisse de disparaître sous des mâchoires carnassières, son autre main perd celle de son père.
Il ne s'en rendra jamais compte, à dire vrai.