juin 2008, Los Angeles, CA (15 ans)
Du hublot, je peux voir les autres avions qui suivent le nôtre sur la piste pour pouvoir décoller. Je détourne les yeux et regarde ma mère qui semble crispée. Elle s'était promis de ne jamais remettre les pieds en Corée et pourtant, c'est bien là que nous allons. Ses yeux humides croisent les miens et elle tente de me sourire sans grand succès. Je lui prends la main. Je me suis promis de veiller sur elle et je compte bien tenir ma promesse. Nous partons tous les deux parce que mon père, lui, a déjà succombé à cette saloperie. Je l'ai tué de mes propres mains. Les cris dans la cuisine m'avaient fait descendre en quelques secondes et quand vous trouvez votre père la bave aux lèvres, à deux doigts du cou de votre mère, vous n'avez pas le temps de vous poser masse de questions. J'ai frappé encore et encore jusqu'à ce que ça oit ma mère qui m'arrête.

On est partis aussitôt après, sans prévenir personne. C'est ma mère qui a décidé de prendre des billets d'avion pour retourner dans son pays natal. Elle et mon père avaient décidé de migrer aux USA et se sont installés en Californie. C'est là que je suis né et pour moi, c'est la première fois que je vais découvrir la Corée du Sud. Mes parents me parlent coréen à la maison depuis que je suis tout petit mais pour moi, c'est l'anglais ma langue natale. On verra bien ce que ça donne sur place. Avec un peu de chance la situation est mieux qu'ici.

février 2011, Nord de Seoul (17 ans)
Les parents de ma mère sont morts. Tout le monde est mort dans le quartier. Ca fait plusieurs jours maintenant qu'on a quitté la ville en se disant que ça serait un véritable nid à rôdeurs quand tout le monde aura vraiment été contaminé. On avance avec un groupe de personnes qui ont eu la même idée que nous. On manque de nourriture et je me suis proposé pour accompagner ceux qui cherchent des provisions : ma mère ne va pas très bien et je veux lui ramener des médicaments si j'en trouve. On part cette après-midi.

avril 2011, Nord de Seoul (18 ans)
Ma mère est morte hier. Son état n'a fait qu'empirer depuis deux mois malgré les médicaments. Elle est morte pendant qu'on dormait et s'est réveillé comme eux. Elle a réussi à avoir deux personnes avant qu'ils ne réussissent à l'abattre. Je n'ai rien pu faire. C'est la première fois que je reste tétanisé comme ça et si personne n'avait été là, j'y serais passé. J'ai pleuré toute la nuit, mes nerfs ont lâché et j'ai pleuré comme une fille. Je ne suis pas arrivé à dormir une seule seconde ; le visage déformé de ma mère qui s'approchait de moi me hante.

septembre 2014, près de la frontière nord-coréenne (21 ans)
Après deux mois tout seul, j'ai trouvé quelques personnes avec qui faire la route. On a dû se séparer en pleine nuit avec mon ancien groupe à cause d'une vague de rôdeurs qui s'est abattue sur le camp de fortune où on était. On est presque à la frontière là. Les gens sur qui je suis tombés ont entendu que les choses allaient mieux au Nord et qu'il y avait peut-être une solution plus sûre pour nous là-bas. Ironique un peu, non ? Qui aurait cru que les gens viendraient un jour se réfugier ici. Je ne dors plus sans ma batte. Je me surprends à repenser au bon vieux temps, quand je passais mes journées sur mes consoles. Même l'école me manque. Heureusement pour moi je cours vite et j'arrive toujours à me rendre utile. Ma batte ne me quitte jamais, même quand je dors.

novembre 2014, camp nord-coréen (21 ans)
on y est enfin ! On est arrivés il y a trois jours et pour le moment on est encore en quarantaine mais on a fini par trouver. On a perdu personne en cours de route sur les six que nous étions. Dès qu'on sera intégrés au camp, ils vont nous trouver une place pour que chacun de nous se rende utile. Je n'attends que ça, je n'en peux plus d'être enfermé là comme une bête en cage.


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