Tae Shi n’est pas fait pour ce monde. Un monde trop sombre, trop violent, trop hostile. Où pour votre survie, il vous faut vous saisir d'une arme et frapper. Frapper jusqu’à en éclater le crâne du premier rôdeur vous sautant à la gorge. Il est incapable de survivre, d’attraper un objet à sa portée ou même de bouger. Il se fige sous la panique. Tae Shi a 25 ans, et même lui s’étonne d’être encore en vie.

« Reste ici d’accord? Tu ne bouges pas, je reviens te chercher. » Il avait hoché la tête, tenant l’arme entre ses mains tremblantes. Combien de temps avait-il attendu, caché à l’intérieur de cette cabane au milieu de nulle part ?  Des heures, des jours. Une semaine peut-être ? Il se souvient n’avoir jamais eu aussi faim de sa vie, aussi soif. Et aussi peur. Mais son père n’est jamais revenu.

Depuis que le virus était apparu, il n’était jamais resté aussi longtemps tout seul, dans un lieu aussi dangereux et paumé. Il n’avait pas bougé, il n’avait pas osé faire un seul pas même à l’intérieur. Il avait fixé cette porte close et écouté les bruits des rôdeurs, paralysé. La main plaquée contre son visage pour empêcher sa respiration de se faire entendre. Si tendu que même s’il avait du se servir de l’arme, il n’aurait pas pu. A l’extérieur, il ne survivrait pas même une minute, il le savait. L’extérieur grouillait de rôdeurs. Il avait perdu le compte des jours, des levés de soleil filtrant à travers les planches de bois. Plus de trois, il en était certain. Après ça n’eut plus d’importance, le compte des jours. Ça faisait bien longtemps maintenant qu’il n’avait plus connu la date exacte. Puis, sans prévenir, ils étaient enfin partis, ils avaient fini par abandonner, ou simplement trouver une autre source de nourriture plus accessible.

Même le silence avait quelque chose d’inquiétant, quelque chose de “pas normal”. Pourquoi, tout à coup, ils avaient désertés? Il soupira, enfin. Il s’en moquait de la raison, ne voulait pas savoir. Il avait cru qu’il pourrait s’agir d’une diversion de son père, mais à fixer cette porte qui ne s’ouvrait pas, il avait préféré penser à un simple désintérêt. Depuis des jours qu’il n’avait pas bougé, il se rendit compte à quel point ses muscles étaient crispés sous la tension. Il avait collé son oeil à une fissure, entre deux planches, mais rien. Pas un bruit. Puis l’ombre d’un corps, et un oeil fixait le sien, détaché de son orbite, à un centimètre de lui. Simplement séparé par les planches. Il avait laissé échapper un cri, retombant sur le plancher en reculant maladroitement. Ils étaient partout, et il allait mourir ici. Mourir dévoré, quand ils auront fini par faire céder un endroit de la cabane.  Sa main avait cherché à tâtons l’arme et il l’avait collé sous son menton, ravalant ses larmes sans y arriver. Elles perlaient, aussi vite que son coeur battait. Autant en finir. Autant être maître de son destin, il s’était dit. Son doigt sur la détente, il avait fermé les yeux, mais il n’avait pas pu, paralysé à nouveau, jetant l’objet loin de lui. Même pour mettre fin à sa propre vie, il en était incapable.

« me tuez pas ...me tuez pas, pitié… Je suis médecin ! je peux vous soigner ! » Les joues humides, un canon contre son crâne, son corps tremblait. Il avait tourné son visage paniqué vers l’un des hommes, puis sur les autres présents. Ils avaient trouvés refuge dans la cabane, un arrêt comme un autre pour la nuit, avant de l’y trouver là, à attendre sa propre mort. Il aurait cru à un miracle, si on ne l’avait pas tout de suite forcé à s’agenouiller pendant qu’il fouillait ses affaires. Il n’était pas médecin,  Il aurait du entrer en troisième année, à la fac de médecine à Pyongyang. Il aurait du suivre les traces de son père, se faire engager dans son hôpital. Au lieu de ça, il l’avait vu des années, soigner des personnes sans pratiquement aucun équipement. Il avait appris sur le tas, dans ce monde. Le matériel dans son sac avait prouvé ses paroles, et il sentit la pression de l’arme s’atténuer, puis disparaître. Le lendemain, il les avait suivi, il était enfin sorti.

Le camp n’existait pas encore à l’époque. Tae Shi avait assisté à sa construction, à son élaboration. Son groupe avait rencontré un autre groupe, les alliances s’étaient ainsi crées. Ils l’avaient maintenu en vie, puisqu’il avait su se montrer utile. Depuis 2014, il vivait derrière ses murs et n’avait plus mis un seul pied dehors. Il se contentait de soigner, d’amputer parfois les infectés et d’attendre le retour de son père.